Lynda Lemay J’aime la feuille blanche

25 juillet 2001

Elle a redonné une modernité à ce qu’on appelle la chanson à texte. Cette Québécoise qui triomphe partout où elle passe fêter aujourd’hui ses 35 ans à Paléo

Si vous aimez la chanson française et ne connaissez pas encore la Québécoise Lynda Lemay, ruez-vous ce soir vers la Grande Scène. Vous ne serez pas déçu. Tout comme ne l’a pas été Charles Aznavour, devenu depuis son parrain artistique. Ne disait-il pas, il y a quelques années: « Des artistes, il y en a de toutes les sortes et de toutes les qualités, des doués, talentueux, drôles, dramatiques, pleins de fantaisie. Et puis il y a ceux, plus attachants, qui possèdent toutes ces qualités et un quelque chose de plus difficile à expliquer, mais qui vous les rend plus proches. Ce sont des oiseaux rares. Lynda Lemay avec ses deux L en fait partie. Elle ajoute à ces dons, indispensables pour réussir, des idées originales, une imagination fertile et très personnelle, une rare qualité d’écriture, une personnalité particulière et pleine de fraîcheur. Je la trouve étonnante, surprenante, exceptionnelle! Écoutez-la attentivement pour, à votre tour, être sous le charme! »

Alors, Lynda, d’avoir un tel parrain artistique, ça vous fait quoi ?
Vous pouvez me tutoyer, en passant. J’y suis plus habituée! Concernant Charles Aznavour, je n’en reviens pas qu’il ait dit tant de belles choses sur moi! Quand tu écris des chansons qui racontent des histoires, évidemment, tu as pour modèle ce qui se fait de plus grand dans la chanson française. Et c’est là, au sommet, que se trouve Charles Aznavour. Alors quand ton maître te dit que tes musiques et tes textes c’est bien fait, de quel plus beau compliment peux-tu rêver?

Avant de chanter, tu as débuté comme serveuse au Québec. Était-ce à l’Underground Café ?
(Souriant.) Non, je n’étais pas une serveuse automate! J’ai fait ce boulot dans des petits bars. C’est peut-être là où j’ai créé mes premiers rapports avec un public. Quand je donne des séances d’autographes aujourd’hui, ça me fait penser à ces bars où je travaillais: les gens venaient à mon comptoir, je leur servais des boissons, il y avait un contact, on se racontait des petites confidences. Et je suis quelqu’un qui aime découvrir les gens. J’aime le monde. L’inspiration me vient souvent après avoir discuté de la vie de quelqu’un, d’avoir découvert sa trajectoire.

Quel est la part d’autobiographie dans ce que tu écris ?
Des fois, je dis 50-50. C’est peut-être davantage parfois: 60% d’imagination, 40% de vécu. Je me suis rendu compte en relisant des anciens textes je garde tout qu’il est possible de suivre à l’intérieur un peu de la vie que j’ai menée jusqu’ici. En plus, mes chansons donnent une impression de vécu, parce que je parle souvent à la première personne. Mais si j’avais vécu tout ça, j’aurais eu une vie bien mouvementée!

C’est parfois troublant, car dans deux de tes titres, tu parles de la mort de tes parents… alors qu’ils sont tous les deux encore bien vivants !
C’est vrai. Mes parents sont en pleine santé. En fait, si j’ai évoqué la mort de l’un et de l’autre, c’est que j’écris souvent sur ce qui me fait peur. Vu que j’angoisse de subir ce genre de drames, je m’imagine ces situations-là pour me préparer, peut-être, au pire. Comme je force pas mal sur les détails, cela donne un côté très réaliste.

Comment réagit ta vraie famille face à la famille imaginaire que tu inventes dans tes chansons ?
Très bien, ce sont mes plus grands fans. De mon côté, je puise ma force en eux. J’ai dans ma famille mes plus grands amis. Je les ai habitués tôt, car je lis mes textes à la table de la cuisine depuis l’âge de 9 ans.

L’autre confusion est liée à tes enfants…
(Elle rit.) Exact! Les gens me demandent toujours de saluer mes filles Marie-Hélène et Rose, comme je les appelle dans la chanson « Dans mon jeune temps ». En réalité, je n’ai qu’une seule fille et elle se nomme Jessie. Alors les gens s’excusent en disant: « On était pourtant sûrs… » Et je leur réponds: « Ça ne fait rien, j’ai choisi ces prénoms pour faire la rime. Jessie, hélas, ça ne rimait pas dans cette chanson-là! »

Jessie, comment voit-elle la carrière de sa maman ?
Souvent elle dit qu’elle veut devenir chanteuse. Il faut préciser qu’elle est entourée d’artistes: son père, la blonde de son père, moi… En même temps, j’essaie de bien séparer auprès d’elle mon rôle de maman et ma carrière. J’ai vécu l’expérience de l’emmener en tournée, mais j’ai remarqué que c’était impossible de tout faire en même temps. En plus, je culpabilisais. On a trouvé une solution avec son père. Comme on a la garde partagée, elle reste trois semaines chez lui et je la prends ensuite trois semaines avec moi. Ainsi, quand je reviens à la maison, je ne fais qu’être avec ma fille. Je suis complètement disponible et je joue du matin jusqu’au soir avec elle. En définitive, j’ai peut-être plus de beaux moments de qualité avec ma fille que la plupart des gens qui travaillent, qui amènent leur enfant à la garderie, vont le rechercher, etc. Quand je suis avec elle, je ne suis plus une artiste, je suis une maman à 100%.

Tu as écrit plus de 500 chansons. Est-ce avec l’aide d’un ordinateur ?
Non, je suis très vieux jeu, j’écris toujours sur du papier, dans des cahiers. J’aime la feuille blanche. Si tu veux me faire plaisir, faut m’acheter un cahier ou des crayons, c’est ma passion. Evidemment tous ces brouillons de textes, ça prend de la place. Heureusement, comme mon beau-frère travaille dans un atelier de reliure, il m’a confectionné de gros livres solides où je retranscris tous mes textes. Faudrait pas que je perde ça!

Paléo, t’en as entendu parler avant ?
Beaucoup. Nyon, ça sonne bien à mon oreille depuis longtemps. J’ai un ami italien qui me racontait tous les concerts qu’il avait vus. Il s’agissait tellement de bons souvenirs pour lui que j’ai commencé à me réjouir d’y venir un jour. Nyon est resté dans ma tête et, quand j’ai vu que j’y passais le jour de mon anniversaire, je me suis dit qu’il y aura beaucoup d’électricité dans l’air! Ça va être la fête! J’ai hâte de vivre ça.

Es-tu une star ?
Je ne me sens pas star. Là, ça marche bien, oui, mais demain qui sait? Ce qui me plaît bien, c’est que le public qui aime mes chansons est fidèle. Il m’aime pour l’ensemble de mes compositions et non pas pour un tube en particulier. Pour lui, je ne suis pas une chanteuse à la mode, qui ne dure que le temps d’un été.

Pour ton anniversaire, ce soir, que désires-tu ?
Si le public est là et semble apprécier le moment qu’on va partager ensemble, je ne peux pas rêver de quelque chose de mieux.

Et si l’on t’offre un objet, ce serait ?
Une grosse assiette de sushis!

Pascal Pellegrino / LeMatin