17 septembre 2013
Trois ans après son précédent album, la chanteuse québécoise Lynda Lemay sort Feutres et pastels, un album divers et riche, dans lequel elle présente encore de nouvelles manières d’écrire et d’émouvoir.
Feutres et pastels, ce n’est pas le titre d’une chanson, mais une manière de résumer l’art de Lynda Lemay. Si elle a choisi d’appeler ainsi son nouvel album, c’est aussi pour annoncer que, pour l’essentiel, rien n’a changé. Elle a toujours des chansons dont l’humour claque comme un fouet, avec des punchlines qui tiennent autant de Michel Audiard que de Jacques Brel – « Les p’tits, tous leurs membres sont inférieurs (…) Les grands, quand ils jouent pas au basket / Ils jouent à s’cogner la tête / Sur les poutres du plafond ». Et elle sait toujours aussi bien émouvoir aux larmes avec des croquis précis, des émotions qui étreignent le cœur.
Il y a trois ans exactement que Lynda Lemay a sorti son précédent album, Blessée. Le temps de tourner, d’écrire, de changer quelques petites choses dans son univers musical. Sans doute aussi de faire le point, ce qui explique peut-être la gravité d’un certain nombre de ses chansons, qui interrogent non seulement le sort des humains, mais aussi sa condition d’artiste, comme Je tourne, je tourne. Ce titre qui ouvre l’album raconte sa course folle de chanteuse en tournée, qui lance ses chansons en espérant que le public sache les terminer. Il y a de la gravité dans la manière dont elle aborde les discriminations raciales ordinaires dans Cagoule.
Gravité aussi dans un titre d’une force terrible, Attendre son pays, qui voit Lynda Lemay dans un registre ouvertement politique. Elle interpelle le Québec en lui demandant : « Faut-il aller en Chine pour connaître nos richesses ? » Après avoir plusieurs fois répété « C’est un peu inquiétant d’attendre son pays », elle lance : « Non, mais qu’est-ce qu’on attend pour devenir un pays ? »
Ça, c’est l’écriture au feutre. Et Feutres et pastels est aussi écrit dans des couleurs moins tranchées, moins violentes. On y retrouve l’auteure avec un de ses plus sûrs atouts : l’exploration des blessures et des douleurs qui font une vie, par petites touches vraies et tendres, par des traits limpides et doux. Une biographie d’homme que l’injustice du destin poursuit dans Le Grand Tableau vert, une chanson de deuil (Au ciel ou à la vie), des méditations sur les pères qui ne regardent pas assez leur fils (L’Architecte) ou sur la tendresse infinie et inépuisable des mères (Quand j’étais p’tit gars). Et elle sait si bien écrire les souffrances de la séparation : « Je suis blottie au creux de ton absence/Comme un bébé dans un linceul », chante-t-elle dans Le Petit Chalet de bois.
Mais elle aime aussi surprendre et explorer des lieux neufs, comme avec une étourdissante fable sur les affaires des hommes et des femmes, Emmanuelle et le fils roi du ciel. Elle vient en fin d’album, juste avant une chanson très virtuose sur les effets du temps sur le corps d’une femme qui avoue « j’fais mon âge un peu trop bien » et qu’elle a « l’épiderme qui pendouille ». On reconnait la patte sans complexe de Lynda Lemay… et quelque chose de nouveau. Car, pour une fois, elle a coécrit un texte : cette Femme chauve-souris est cosignée avec David Nathan.
Et Lynda Lemay a aussi voulu de nouvelles couleurs musicales et des arrangements élargis, comme pour étendre encore la palette des émotions. Être un peu plus musicienne et moins strictement auteure. Ne pas jouer seulement des feutres et des pastels. Ajouter l’aquarelle et l’acrylique.
Par Bertrand Dicale (Rfi Musique)